Dans un contrat de bail commercial, certains mots valent de l’or, ou peuvent vous coûter très cher. C’est notamment le cas de la clause de destination. Trop souvent négligée ou formulée à la va-vite, elle conditionne pourtant la pérennité de votre activité dans les lieux loués. Pour les professionnels, il est donc fondamental de comprendre ses enjeux juridiques, ses pièges, mais aussi ses possibilités d’évolution. Décryptage.
Une clause essentielle pour encadrer l’usage du local
La clause de destination est un passage essentiel du contrat de bail : elle précise les activités que le locataire est autorisé à exercer dans les locaux. En clair, elle fixe le périmètre d’exploitation autorisé. Un restaurant, une boutique de vêtements, un cabinet médical… chaque activité doit être indiquée, et exercée dans le respect strict du bail signé.
D’un point de vue juridique, cette obligation s’appuie sur l’article 1728 du Code civil, qui impose au locataire d’« user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail ». En cas de non-respect, la sanction est la résiliation du bail, le refus de renouvellement, voire la perte de l’indemnité d’éviction prévue à l’article L145-17 du Code de commerce. Autant dire que mieux vaut éviter l’improvisation.
Cette rigueur contractuelle fait écho à d’autres démarches structurantes pour les entrepreneurs, comme le fait d’ouvrir un compte professionnel dédié à leur activité. Là aussi, anticiper et cadrer son activité dès le départ est un facteur de réussite.
Le champ des possibles et ses limites
Contrairement à un bail d’habitation, où la destination est souvent simple (usage résidentiel ou mixte), le bail commercial laisse une large marge de manœuvre. Les parties peuvent viser une activité unique ou plusieurs, voire opter pour une clause « tous commerces ». Mais attention : plus la clause est restrictive, plus le locataire devra faire preuve de prudence s’il souhaite diversifier son activité.
Certaines activités peuvent être considérées comme « incluses » dans d’autres. Par exemple, vendre des sandwiches dans une boulangerie est généralement toléré, tout comme une rôtisserie dans une boucherie. Mais dès que l’activité sort du périmètre prévu, même de manière marginale, une procédure de déspécialisation s’impose.
Déspécialisation : l’outil pour élargir la destination
La déspécialisation permet au locataire d’adapter l’activité aux évolutions de son marché. Elle peut être partielle (activité connexe ou complémentaire) ou plénière (changement complet d’activité). Mais cette procédure suppose une démarche formelle, encadrée par la loi. Et surtout, elle impose de prévenir le bailleur, faute de quoi l’activité non autorisée pourra être considérée comme un manquement grave.
L’affaire tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 mars 2025 (n° 23-22.383) en est une illustration frappante. Un locataire exploite un restaurant alors que le bail ne prévoit qu’un snack. Résultat : bail résilié. La justice a estimé que la cuisine servie (poisson au gingembre, ris de veau…) dépassait largement les simples plats de petite brasserie tolérés dans un snack. Sans concertation avec le bailleur, le changement d’activité s’est retourné contre le professionnel.
L’indispensable vigilance en copropriété
Autre écueil : le règlement de copropriété. Lorsqu’un local commercial est situé dans un immeuble en copropriété, la clause de destination du bail doit impérativement en respecter les règles. Une clause « d’habitation bourgeoise exclusive » interdira toute activité professionnelle. Une clause « simple » n’autorisera qu’une activité libérale, sans réception de public ni nuisances.
Dans certains immeubles, les rez-de-chaussée peuvent être dédiés au commerce. Mais là encore, prudence : de nombreux règlements de copropriété interdisent les nuisances sonores ou olfactives. Autrement dit, un bailleur qui louerait à un restaurateur sans vérifier ce point pourrait se voir reprocher un manquement à son obligation de délivrance. Le locataire, quant à lui, se heurtera à une action du syndicat des copropriétaires.
Sur le plan pratique, il est donc essentiel pour les professionnels de relire le règlement de copropriété avant de signer un bail. En cas de doute, le recours à un conseil juridique est vivement recommandé.
En cas de doute, mieux vaut anticiper
Face à la complexité des règles applicables, il est conseillé aux professionnels d’anticiper toute évolution de leur activité. Mieux vaut solliciter l’accord du bailleur avant d’envisager une nouvelle activité, même si elle semble « proche » de celle prévue. Cela évite les mauvaises surprises et sécurise la relation contractuelle.
Une clause à ne pas prendre à la légère
La clause de destination n’est pas une simple formalité administrative : elle conditionne votre droit à exercer, à renouveler le bail, et à percevoir une indemnité d’éviction. Pour les professionnels, elle doit être envisagée comme un outil stratégique de développement, mais aussi comme un levier de sécurité juridique.
Qu’il s’agisse de signer un premier bail, d’élargir votre activité ou de changer de concept, la prudence reste de mise.