Employeurs : êtes-vous responsables des conditions de travail chez vos clients ?

Lorsqu’un salarié intervient sur un site client, vous imaginez peut-être que la sécurité relève d’abord du client. Et pourtant, un récent arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2025 vient rappeler à tous les chefs d’entreprise une règle fondamentale : l’obligation de sécurité ne prend pas de vacances, même hors de vos murs. Vous restez responsable de vos collaborateurs, y compris lorsqu’ils sont exposés à un risque en dehors de vos locaux. Dans cette affaire, c’est un conducteur routier victime d’un accident du travail qui a saisi la justice, considérant que son employeur n’avait pas pris toutes les précautions nécessaires. Le nœud du problème : des conditions de travail non adaptées sur les sites de livraison chez les clients.

Une obligation de sécurité qui suit le salarié partout

Un salarié, M. Z, conducteur routier, est victime d’un accident du travail. Après un arrêt de travail, il est autorisé à reprendre à condition de ne pas porter ou pousser de charges sans assistance mécanique.

Son employeur le réaffecte à une tournée sur un autre site. Problème : les supermarchés où il intervient ne disposent pas toujours des équipements recommandés par le médecin du travail. Résultat : l’état de santé du salarié se dégrade à nouveau, et il est à nouveau placé en arrêt de travail.

Selon M. Z, c’était à l’employeur de s’assurer que les conditions de travail chez les clients respectaient les recommandations médicales. L’affaire est portée devant les prud’hommes, puis en appel.

La cour d’appel rejette les demandes du salarié, estimant que les manquements se sont produits dans des entreprises tierces, et que l’employeur ne pouvait être tenu pour responsable sans avoir été informé par son salarié. Ce raisonnement n’a pas convaincu la Cour de cassation.

Un arrêt de principe : l’employeur doit vérifier les conditions chez ses clients

Dans son arrêt du 11 juin 2025, la Cour de cassation casse la décision d’appel. Elle rappelle que l’employeur reste responsable de la sécurité du salarié, y compris lorsqu’il intervient dans les locaux d’un tiers.

La haute juridiction se fonde sur l’article L4624-3 du Code du travail : dès lors que le médecin du travail recommande un aménagement, c’est à l’employeur de s’assurer que ces mesures sont réellement mises en œuvre, même chez un client.

Autrement dit : l’obligation de sécurité est une obligation de résultat, pas seulement de moyens. Et cela vaut partout où le salarié exerce ses fonctions, que ce soit dans vos bureaux ou chez vos partenaires commerciaux.

Quelles sont les conséquences pour les chefs d’entreprise ?

Ce rappel jurisprudentiel n’est pas une simple mise au point théorique : il implique une vigilance renforcée de la part des employeurs.

Si vous envoyez vos salariés en mission chez un client, vous devez désormais :

  • Anticiper les conditions réelles d’intervention ;
  • Vous assurer que les équipements nécessaires sont disponibles sur place ;
  • Ne pas attendre une alerte du salarié pour agir.

Cela suppose parfois de demander au client de fournir des garanties écrites ou d'organiser une visite préalable du site.

Et si ce n’est pas possible ? Vous devrez adapter le poste de travail ou reconsidérer l’affectation de votre salarié.

Une vigilance comparable à celle qui consiste à sécuriser ses opérations internes, comme l’ouverture d’un compte pro entreprise pour fluidifier la gestion et garantir la conformité dès les premiers échanges avec vos partenaires.

Les risques juridiques en cas de manquement

Ignorer ces obligations peut coûter cher : en cas d’accident ou de dégradation de l’état de santé du salarié, l’employeur pourrait être poursuivi pour manquement à son obligation de sécurité, avec à la clé :

  • Des dommages et intérêts ;
  • Une requalification du licenciement ;
  • Une résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de l’employeur.

Et ce, même si l’incident s’est produit dans des locaux qui ne vous appartiennent pas.

Un enjeu managérial autant que juridique

Au-delà de l’aspect légal, ce type de contentieux révèle un enjeu plus profond : la qualité du dialogue entre employeur, salarié, médecine du travail et partenaires commerciaux. Une meilleure communication, des procédures claires et un suivi régulier peuvent éviter bien des litiges.

Cette affaire rappelle une vérité parfois oubliée : le devoir de protection de l’employeur s’applique où que le salarié exerce sa mission. Même lorsque vous déléguez une tâche à un prestataire ou que vous intervenez chez un client, vous restez le garant de la sécurité de vos collaborateurs.

Si vous doutez de votre conformité en la matière, il est peut-être temps de revoir vos process RH et vos accords avec vos partenaires extérieurs.