La cryptosphère a tiré la sonnette d’alarme : l’enlèvement retentissant d’un entrepreneur du secteur, suivi de plusieurs tentatives avortées, a mis en lumière un point faible béant : l’accès libre aux adresses personnelles des dirigeants dans les registres publics. Face à la pression croissante des chefs d’entreprise et au risque d’importer ce mode opératoire à d’autres secteurs, le ministère de la Justice prépare un décret d’urgence. Objectif : permettre l’occultation rapide des adresses privées dans le Registre du commerce et des sociétés (RCS) et son cousin le Registre national des entreprises (RNE). Décryptage du dispositif, des démarches à entreprendre pour masquer votre adresse et des précautions à adopter pour protéger votre vie privée sans sacrifier la transparence économique.
Pourquoi vos données privées sont-elles exposées ?
Depuis plus d’un siècle, le RCS garantit la publicité légale : il centralise les statuts, comptes et actes d’une société, ensuite relayés par une galaxie de plateformes open data. En pratique, cela signifie qu’un criminel motivé peut, en trois clics, obtenir l’adresse de votre domicile s’il figure dans vos statuts ou sur votre Kbis. Les récentes attaques visant des entrepreneurs crypto ont montré la facilité avec laquelle ces informations sont exploitées.
Un décret « flash » pour répondre à une menace bien réelle
Conscient du risque, le ministère de la Justice va saisir le Conseil d’État dans les prochains jours pour modifier par décret la partie réglementaire du Code de commerce. Concrètement, tout dirigeant pourra saisir le greffier de son tribunal de commerce afin d’obtenir, en quelques jours, l’occultation de son adresse privée dans le RCS ainsi que dans les pièces jointes (statuts, procès-verbaux…). Les greffiers transmettront ensuite ces modifications au RNE ; les plateformes d’information juridique répercuteront la mise à jour par ricochet.
Le texte s’appuie sur deux fondements :
- le Règlement général sur la protection des données (RGPD), qui consacre un « intérêt légitime » à la protection de la vie privée ;
- un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 2024) confirmant le droit d’obtenir l’effacement de données personnelles non strictement nécessaires à la transparence économique.
Mode d’emploi : comment demander l’occultation de votre adresse ?
En attendant la publication du décret, les dirigeants peuvent déjà agir : l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) accepte les requêtes visant à masquer les adresses figurant dans les pièces déposées au RNE. Après l’entrée en vigueur du texte, la démarche deviendra plus simple :
- Préparez votre requête en exposant brièvement le risque (menace, exposition médiatique, activité sensible).
- Déposez-la au greffe du tribunal de commerce ; le greffier vérifie la recevabilité et procède à l’occultation.
- Surveillez la mise à jour descendante : lorsque la base RNE est modifiée, les sites alimentant l’open data effacent automatiquement l’adresse dans un délai variable (quelques jours à quelques semaines)
Bon à savoir : l’effacement n’est pas automatique. Sans démarche volontaire, l’adresse reste visible.
Limites et débats encore ouverts
Le gouvernement a privilégié une solution « à la demande » plutôt qu’une occultation généralisée. Certains patrons estiment que la mesure ne va pas assez loin : tant que l’adresse figure dans les documents source, le risque d’erreur ou de fuite subsiste. D’autres plaident pour un système inspiré du registre des bénéficiaires effectifs, où seules les autorités et les professions réglementées peuvent consulter les coordonnées complètes. Une proposition de loi visant à « pseudonymiser » par défaut les données des dirigeants circule déjà à l’Assemblée nationale.
Renforcer sa sécurité dès aujourd’hui
Même floutée sur le RCS, votre adresse peut réapparaître ailleurs : indexations anciennes, courriers perdus, fuites de données.
Pour réduire la surface d’attaque :
- Choisissez une domiciliation commerciale plutôt que votre résidence personnelle,
- Centralisez vos paiements professionnels sur un compte pro pour limiter les justificatifs contenant votre adresse,
- Adoptez des moyens de paiement sûrs et paramétrables comme des cartes de paiement professionnelles,
- Sauvegardez vos documents sensibles dans un coffre-fort numérique afin qu’aucun PDF non maîtrisé ne circule ;
- Révisez vos procédures de cybersécurité (double authentification, contrôle d’accès, audit régulier).
Ces gestes simples complètent l’effacement officiel : un agresseur qui ne trouve pas votre adresse dans un registre cherchera ailleurs.
Le futur décret répond à une urgence : rétablir un équilibre entre transparence économique et sécurité des personnes. Pour les chefs d’entreprise, l’enjeu n’est pas seulement juridique ; c’est un devoir de protection vis-à-vis de leur famille et de leurs collaborateurs. Anticiper la procédure d’occultation, migrer vers des solutions de paiement plus sûres et instaurer des règles internes strictes de confidentialité constituent, ensemble, la meilleure ligne de défense.